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Changement climatique, changements au travail, changement du travail

Conférence organisée par l’Antenne de Paris des Semaines Sociales de France le 5 mars 2024 à St Honoré d’Eylau.




Face à l’urgence climatique, le monde du travail est appelé à s’écouter pour conjuguer adaptation et atténuation de l’impact du travail sur le vivant.

 

Le réchauffement climatique est un phénomène qui n’est plus sérieusement contesté. Il se manifeste par des événements climatiques majeurs qui atteignent l’ensemble de la planète, avec des conséquences plus intenses pour les pays au climat modéré. Cependant, ces événements révèlent la progression continue des températures qui affectent l’environnement, la biodiversité, le vivant dont les humains, ce qui lui impose de se repositionner au regard de l’ensemble de ses activités, dont l’une de ses activités principales : le travail.

Jean-François NATON, syndicaliste, représentant de la Confédération générale du travail (CGT) au Conseil économique, social et environnemental (CESE) a été le rapporteur de l’avis du CESE intitulé : « Travail et Santé-environnement : quels défis à relever face aux dérèglements climatiques ? »



Il a aussi écrit : « A la reconquête du travail éditions Indigène en 2007 et « Pour d’autres jours heureux – la sécurité sociale de demain » en 2019, aux éditions de l’Atelier.

Le CESE : 175 représentants de la société civile organisée au service par le dialogue, du consensus pour l’intérêt général.


Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) est la troisième assemblée mentionnée dans la Constitution en son article 69. L’utilité et même l’existence du CESE ont été mises en cause dans un passé encore récent, ce qui a conduit à une profonde refondation. En termes de composition, les personnalités qualifiées nommées par le Gouvernement ont laissé place à des représentants du monde associatif plus en mesure d’élargir le champ de la réflexion et des débats. Le CESE a pu aussi s’appuyer sur l’apport des panels de citoyens consultés dans le cadre des dispositifs de participation citoyennes.


En termes d’orientation, le CESE remet  des avis qui tendent à anticiper les débats publics.

C’est dans ce cadre que l’avis portant sur le changement climatique et le travail a été élaboré. La présidente de la Commission travail et emploi du CESE, Sophie Thiery, représentante de la CFDT, tenait à ce que la question du travail reprenne toute sa place au sein de la Commission. Les problématiques des conditions de travail, de la santé au travail, des accidents du travail, des maladies professionnelles, mais aussi de la qualité de vie au travail et de l’organisation du travail représentent traditionnellement un alliage fort du dialogue social.


En l’occurrence, l’une des forces du CESE tient dans le fait que tous les membres du CESE ont une activité en dehors du CESE. Les membres du CESE sont donc des personnes investies dans leurs missions, mais qui ont aussi un ancrage territorial, professionnel let social.

L’autre force du CESE est son identité fondée sur le dialogue, le respect mutuel, la volonté de se donner le temps nécessaire loin du bruit et de fureur pour proposer des orientations et des solutions à des problèmes complexes.


Dans l’élaboration de l’avis, le CESE a eu recours à de nombreuses auditions et a bénéficié du soutien du Conseil d’orientation des conditions de travail, organisme paritaire qui a pour objet de fixer des orientations en santé au travail auprès du ministère du travail.

L’avis a été adopté à l’unanimité, ce qui signifie que les organisations syndicales et les organisations professionnelles, donc les organisations représentant les employeurs, ont été capables de trouver les points d’accord nécessaires. Tous les représentants ont eu conscience que l’urgence climatique n’autorisait pas l’échec.


La plupart des avis connaissent une diffusion limitée. Ils sont appréciés par les spécialistes de la question, mais ne bénéficient pas assez d’une forte médiatisation.

Cet avis est une exception. Il a été présenté devant l’agence de santé, Santé publique-France, devant France-stratégie (le plan), l’Inspection générale des affaires sociales, devant la commission sociale de l’Assemblée nationale au cours de nombreuses rencontres d’organisations, d’ initiatives, dont celle de ce soir ; Il n’y a pas eu cependant de suites politiques à ce stade.


Pourtant les préconisations sont portées par l’ensemble des acteurs économiques et associatifs, visent à modifier les comportements et à favoriser le dialogue social pour atténuer le changement climatique et adapter le travail à ce changement, dans le cadre d’une maîtrise de la dépense collective.


Les préconisations du CESE

Le premier principe qui a guidé les membres du CESE repose sur la nécessité de briser les approches sectorielles de la santé.

Il n’y a pas une santé publique, une santé environnementale, une santé au travail. De fait, la santé est globale et l’approche de la santé doit être globale.

Il en résulte trois préconisations :

-          Un délégué interministériel doit être en mesure de coordonner l’ensemble des politiques visant à adapter la société au changement climatique.

-          Les excédents de la branche « Accident du travail- maladies professionnelles » peuvent financer une part des actions mises en œuvre pour cette adaptation dans le milieu travail, ce qui est légitime au vu des risques pour la santé encourus par l’ensemble des travailleurs.

-          Un outil statistique robuste doit être construit pour évaluer les conséquences du changement climatique sur la santé dans toutes ses dimensions, donc aussi la santé au travail.


Le deuxième principe est celui d’une culture commune de la prévention.

La prévention est souvent le parent pauvre des politiques publiques, mais aussi de la gestion des risques dans les entreprises. Le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) est, par exemple, méconnu par la moitié des entreprises, alors même qu’il est obligatoire.

*

II en résulte une série de préconisations dont notamment celles-ci :

-          Une formation commune des salariés et des employeurs sur le changement climatique et son impact sur le travail.

-          Une campagne de sensibilisation nationale sur la nécessité d’anticiper le risque climatique en milieu professionnel.

-          L’obligation d’un DUERP à jour pour prétendre bénéficier d’une aide de l’Etat.

-          L’écoute comme nouveau principe général de prévention.


Ce dernier point est particulièrement important et novateur.

Le code du travail prévoit des principes généraux de prévention :

1° Eviter les risques ; 2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; 3° Combattre les risques à la source ; 4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ; 5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ; 6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ; 7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ; 8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ; 9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Le CESE propose d’ajouter un 10ème principe qui serait de fait plutôt le premier dans l’ordre logique : l’écoute. L’écoute n’est pas dans un seul sens. Ce n’est pas seulement l’écoute des salariés par l’employeur ; c’est aussi l’écoute de l’employeur par les salariés.

L’objectif est de construire ensemble une réponse aux risques professionnels en général et aux risques liés au changement climatique en particulier par une écoute mutuelle et une approche de terrain aussi pragmatique que possible.

 

Le troisième principe consiste à repenser l’organisation du travail

Il n’est pas question de nier les différences d’approche et les conflits qui peuvent exister entre employeurs et salariés. Il n’est pas question non plus de nier les questions de productivité, de performance et de rentabilité des entreprises. Simplement, quand il est question de changement climatique, les convergences d’approche doivent l’emporter pour répondre aux nouveaux défis auxquels l’ensemble des travailleurs doit faire face.

Ce ne sont pas seulement les travailleurs du dehors qui sont exposés au changement climatique. Ce sont aussi tous les travailleurs du dedans qui travaillent dans les usines, dans les commerces et même dans les bureaux. C’est pour cela que les bâtiments à usage professionnel doivent être revus au regard du changement climatique, notamment en privilégiant la climatisation neutre en gaz à effet de serre.

De même, l’organisation du travail doit tenir compte du changement climatique. L’absence de prise en considération du changement environnemental a coûté six vies pendant les dernières vendanges en Champagne. Ce sont six vies qui auraient pu être épargnées si la prévention avait été au rendez-vous.


Pour cette raison, le CESE a émis les préconisations suivantes qui fait la part belle à la négociation :

-          Modifier la réglementation après négociations pour que les branches bâtiment et travaux publics (BTP) puissent disposer de 15 jours de risque canicule comme elles disposent de 15 jours pour le risque intempérie, afin de limiter les effets du changement climatique sur les organismes.

-          Promouvoir le dialogue social pour passer d’une logique de gestion de crise à une logique de prévention en intégrant l’impact du dérèglement climatique dans les négociations, tout en veillant à ce que les mesures négociées contribuent à l’effort général de sobriété.

-           Intégrer les conséquences du dérèglement climatique sur l’organisation et les conditions de travail dans les obligations de négociation périodique de branche professionnelle et intégrer le thème des conséquences environnementales des orientations stratégiques de l’entreprise dans les consultations obligatoires au sein du Comité social d’entreprise.

L’organisation du travail, en tant qu’elle entraîne des conséquences sur la santé des travailleurs, est l’affaire de tous. Le changement climatique induit des changements d’organisation. Ceux-ci doivent être consentis, c’est-à-dire compris et approuvés par l’ensemble des membres du collectif de travail.


Les partenaires sociaux sont au cœur même de la transformation du monde du travail imposée par le changement climatique. Leurs forces ne sont pas en elles-mêmes suffisantes, mais sans elles, il ne peut y avoir ni changement comportemental, ni changement culturel, ni changement social. Il reste que le changement est aussi une affaire politique et donc de rapports de force. Sans tomber dans l’angélisme, plus le dialogue social fait consensus, plus le rapport de forces est favorable pour aborder la question du changement climatique. Inversement, un dialogue social faible et dégradé conduit à des relations sociales conflictuelles qui évincent la question du changement climatique.


Il reste que tout n’est pas réglé pour autant. Il y a toujours le risque d’entreprises ou de secteurs qui ne joueraient pas le jeu. Les employeurs ne sont pas tous partants, même si beaucoup le sont.


Il y a toujours aussi le risque d’une politique publique inadaptée, par exemple dans le domaine de l’énergie. Un choix énergétique qui induit une augmentation des coûts et qui ne privilégie pas les énergies de proximité les plus économes est un choix qui ampute les chances d’une transformation du monde du travail.


Conclusion

Le consensus du CESE a été possible grâce à une appréciation commune de la nécessité d’agir face à l’urgence du changement climatique.  Les partenaires sociaux ont su aussi prendre en considération la question du coût de l’adaptation car la bonne volonté parfois ne suffit pas si le changement n’est pas accompagné par des moyens suffisants et adaptés.

Ils partagent aussi la conviction que le dialogue social est au cœur la transformation des organisations, laquelle représente une réponse nécessaire à l’impact du changement climatique sur le travail.  Ils sont convaincus que l’écoute mutuelle est au cœur du nouveau contrat social et promesse de nouveaux « jours heureux ».

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